Les dépouilles de Mélinée et Missak Manouchian, résistante et résistant d'origine arménienne, entraient au Panthéon le 21 février 2024, 80 ans jour pour jour après l'exécution de Missak par les nazis au Mont-Valérien. Le couple a vécu des moments importants de sa vie dans le 14e. En 2009, une plaque a été apposée sur la façade de l'immeuble qui abrita leurs derniers jours ensemble, rue de Plaisance. Rappel de l'histoire des Manouchian dans l'arrondissement.
Le 14e de Missak puis de Mélinée
Missak Manouchian nait dans une famille de paysans en 1906 à Adiyaman dans le sud de l'actuelle Turquie. En 1915, le génocide arménien lui retire son père, résistant, puis sa mère qui va, sur la route de l'exil, succomber à la maladie. Missak et ses frères sont séparés et placés dans différents orphelinats. En 1922, Missak et son ainé, Garabed, sont réunis dans un orphelinat de Jounieh, au Liban. Là-bas, Missak apprend le français, découvre les grands noms de la littérature française, et s'éprend de poésie.
La rue Vercingétorix
En 1924, les deux frères décident de rejoindre la France. Ils accostent à Marseille où il restent quelques temps avant de rejoindre Paris. Arrivés dans la capitale, ils s'installent dans un hôtel insalubre de la rue Vercingétorix. Garabed a contracté la tuberculose au Liban. Son état se dégrade. Pour payer les soins de son frère, Missak, âgé de 20 ans, se fait embaucher comme tourneur à l'usine Citroën dans le voisin 15e. Mais son frère décède en 1927.
La rue des Plantes
À cette période, Manoukian fréquente les artistes de Montparnasse. Son physique athlétique l'amène à poser comme modèle pour les peintres arméniens de l'Académie Julian dans le 6e. Et notamment pour Krikor Bedikian (1908-1981), ami et voisin de la rue des Plantes, où Missak s'est installé en 1933, près de la Porte de Châtillon.
La crise du 6 février 1934 provoquée par une violente manifestation des ligues d’extrême droite, antirépublicaines, et nationalistes, place de la Concorde, convainc Missak Manouchian de rejoindre le mouvement clandestin antifasciste animé par le Parti communiste français et défendre la république menacée. Il intègre la section arménienne.
Son engagement met sur sa route Mélinée Soukémian, militante communiste à la section de Belleville. Missak et Mélinée se marient le 22 février 1936. Ils emménagent ensemble dans l'appartement du 79, rue des Plantes. Il y resteront jusqu'en 1941 avant de déménager à une autre adresse du 14e.
La prison de la Santé
Le pacte germano-soviétique signé en août 1939, rend illégal l’ensemble des organisations communistes en France. Quelques jours avant la déclaration de guerre en septembre 1939, le siège de l’union populaire arménienne à laquelle Missak Manouchian appartient est perquisitionné. Missak est arrêté aux motifs d’être communiste et étranger. Il est emprisonné à la Santé.
Il n'y reste qu'un mois. Pour échapper à la prison, Missak signe un acte d'engagement volontaire contraire aux directives du Parti. Le 7 octobre, il revient rue des Plantes pour faire ses adieux à Mélinée avant de partir pour la base militaire de Colpo en Bretagne. Il y restera jusqu'en 1941.
Le 11, rue de Plaisance
Missak s'installe avec Mélinée au 4e et avant-dernier étage d'un modeste immeuble en briques, construit moins de 10 ans plus tôt, rue de Plaisance. Une "planque", dans laquelle Missak restera avec Mélinée jusqu'à son arrestation, le 16 novembre 1943, au terme d'une filature de plusieurs semaines par la 2e Brigade spéciale de la Préfecture de police de Paris. La lecture des rapports de police redonne tragiquement vie à Manouchian dans le 14e.
À pied, en passant par Montrouge, ils arrivent à la porte d'Orléans, ils échangent des papiers puis se séparent. Manoukian fait quelques emplettes dans le quartier, et à 12 heures 30 pénètre rue de Plaisance n°11. Il ne ressort pas de la soirée.
Extrait du rapport des policiers de la 2e Brigade spéciale
24 septembre 1943
Quatre jours plus tard, nouvelle filature. Manouchian a rendez-vous comme chaque mardi avec Joseph Epstein, responsable des Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI), mouvement de résistance intérieure française, que Missak Manouchian a rejoint en février 1943. "Manouchian sort de son domicile à 10 heures 30 et prend le métro à Alésia pour descendre à la gare du Nord […] À la sortie de la gare, il rencontre un homme qui n'est autre que le nommé Estain Joseph, né le 16 octobre 1910 au Bouscat." Un mois plus tard, un rapport décrit une nouvelle rencontre de Manouchian avec Joseph Epstein : "Manouchian sort de chez lui à 7 heures 15, prend le métro à Pernety et descend à la Gare-de-Lyon. Il prend le train à 8 heures 02 et descend à Brunoy à 8 heures 45. À la sortie de la gare, il retrouve Estain […]".
Le 16 novembre, Missak Manouchian est arrêté. Après son arrestation, Mélinée, ne retournera pas au 11, rue de Plaisance. Elle se réfugie chez les Aznavourian, parents du chanteur Charles Aznavour, dans le 9e.
Avant d'être fusillé au Mont-Valérien, Missak écrit une lettre à sa "chère Mélinée, [sa] petite orpheline bien aimée". Une lettre qui inspirera en 1955 à Louis Aragon le poème Strophes pour se souvenir (1955), mis en musique en 1959 par Léo Ferré sous le titre L'Affiche rouge, chanté par le groupe Feu Chatterton ! devant les cercueils du couple Manouchian au Panthéon le 21 février 2024.
Cette émouvante lettre se conclut par un post-scriptum faisant référence au 11, rue de Plaisance.
J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène.
Missak Manouchian
21 février 1944
Le groupe Manouchian et le 14e
Les membres du groupe Manouchian sont aussi passés par le 14e. Et notamment Olga Bancic qui vivait à 500 mètres de l'appartement occupé par les Manouchian. Olga (ou Golda), dite Pierrette, la seule femme du groupe Manouchian, juive d'origine roumaine, chargée de l’entrepôt et du transport des armes, exécutée quelques mois après ses frères d'armes, à Stuttgart, en Allemagne. En 2015, une plaque commémorative a été apposée sur la façade de l'immeuble du 114, rue du Château où elle vivait avec son compagnon Alexandru Jar, lui aussi combattant auprès des FTP-MOI, et leur fille Dolorès.
D'autres membres des FTP-MOI sont également passés par le 14e :
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Joseph Epstein, juif d'origine polonaise, responsable des FTP-MOI, arrêté avec Missak Manouchian et fusillé le 11 avril 1944 au Mont Valérien, résidait au 29, rue Hippolyte Maindron.
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Thomas Elek, juif d'origine hongroise, membre du détachement des dérailleurs, un des 10 visages de l'affiche rouge, fusillé avec Missak Manoukian au Mont Valérien, résidait au 7, rue Roger.
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Arsène Tchakarian, d'origine arménienne, dernier survivant du groupe Manouchian, décédé en 2018, se cachait au 88, rue Daguerre début novembre 1943.
Commémoration du 21 février 2024 dans le 14e
La plaque du 11 rue de Plaisance, a été inaugurée en 2009. Depuis, tous les 21 février, date de l'exécution de Missak Manouchian par les nazis au Mont-Valérien, un hommage lui est rendu. Thierry Le Dez, conseiller d’arrondissement, en charge du matrimoine et patrimoine, de la mémoire, des anciens combattants et de la résilience a salué, mercredi 21 février 2024, l' "Arménien, devenu apatride, poète, ouvrier et […]résistant étranger héroïque". Avant de rappeler l'importance du souvenir.
Il est de notre devoir commun de ne jamais oublier nos morts pour la France. De transmettre aux futures générations la mémoire de ces hommes et femmes qui symbolisent par leurs engagements les valeurs républicaines pour défendre notre démocratie, la France de la liberté, de l’égalité, de la fraternité.
Thierry Le Dez
21 février 2024
MISSAK MANOUCHIAN Par Dugudus
Face au 11, rue de Plaisance, une sérigraphie représentant Missak Manouchian (voir photo en une de l'article) avec un brassard des FTP-MOI est apparu quelques jours avant l'entrée au Panthéon du résistant d'origine arménienne. Ce collage est signé Dugudus, artiste, graphiste et illustrateur. Cette image fait partie d'une série de 60 collée dans tout Paris. L'artiste rappelle dans un post sur Instagram que "L’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian illustre la part prise par des étrangers dans la défense des valeurs universelles de notre République. Elle est aussi lourde de sens à notre époque de retour en force de la xénophobie notamment avec le vote à l’assemblée nationale de la Loi Immigration. Leur combat est le nôtre ! Honorons leurs mémoires."
Making of du portrait de Missak Manouchian par Dugudus
Aller plus loin, toujours dans le 14e !
→ Rencontre │Denis Peschanski à la bibliothèque Benoîte Groult
Denis Peschnaski est coauteur de Manouchian - Missak et Mélinée Manouchian, deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française (Textuel, 2023)
Mer. 28 février à 19h │ Bibliothèque Benoîte Groult │ Gratuit, sur inscription.
→ Conférence │Mettre en images le groupe Manouchian
Conférence autour d'œuvres de bandes dessinées dédiées à la mémoire du groupe Manouchian.
Mer. 13 mars à 18h │ Musée de la Libération │ Gratuit dans la limite des places disponibles.
→ Honoré de longue date par Paris, mort pour la France, Missak Manouchian entre au Panthéon
Le couple Manouchian et les membres des FTP sont célébrés au-delà du 14e arr., dans tout Paris, comme le détaille cet article sur paris.fr.